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Gauche alternative en Corse

La BCE ferme les robinets à la Grèce

Publié le 5 Février 2015 par Manca alternativa

Nous publions un article de Jean-Marie Harribey, économiste, Maître de conférence d'économie à l'Université de Bordeaux IV, membre des Economistes atterrés, paru dans Alternatives économiques. Si d'aucuns se faisaient des illusions sur les intentions de la Troïka, les dernières déclarations de Mario Draghi, président de la BCE sont d'une clarté remarquable. On ferme les robinets, plus de liquidités pour la Grèce. Le programme du nouveau gouvernement grec ne doit pas être appliqué. Les Grecs peuvent crever. Dont haro sur Syriza. Mais que fait notre président socialiste, François Hollande? Il se contente de suivre docilement la voix de ses maîtres, dixit ses déclarations lors de sa conférence de presse de ce jeudi 5 février 2015.

La BCE aux Grecs :

mourir de faim ou mourir étouffé

La Banque centrale européenne a confirmé hier soir les sérieux doutes que l’on pouvait avoir sur la réalité du changement de sa politique annoncé le 22 janvier dernier, doutes que j’avais exprimés dans le texte précédent sur ce blog. L’illusion d’un virage n’a duré que deux semaines. Anti-démocratique, elle était, anti-démocratique, elle reste. Elle considère que le changement de gouvernement en Grèce, décidé par le peuple grec, est nul et non avenu. Elle a réaffirmé que, au-dessus de la démocratie, il y a elle-même et le dogme néolibéral : l’austérité est intangible. Quel est le fond politique et théorique de ce coup de force, de ce coup d’État contre un État.

Maintenir la tête de la Grèce sous l’eau pour plonger le pays dans le chaos

Syriza avait annoncé sa volonté de mettre fin à l’austérité imposée par la Troïka en échange d’aides financières. Le nouveau gouvernement était resté ferme sur l’absolue nécessité d’arrêter les politiques d’austérité, même si, dès son installation, notamment par la voix de son ministre des finances Yanis Varoufakis, il avait manifesté une volonté de négocier un compromis pour obtenir un rééchelonnement de la dette publique plutôt qu’une annulation, en proposant d’échanger les titres actuels détenus par la BCE contre de nouvelles obligations perpétuelles (donc jamais remboursées, seuls les intérêts restant à charge).

Insupportable pour la BCE et la classe qui dirige, domine et lamine l’Union européenne. La BCE a donc décidé de ne plus accepter les titres publics grecs en contrepartie des liquidités accordées aux banques grecques. Cette facilité avait été antérieurement acceptée, quoiqu’elle fût en contradiction avec les traités européens, parce que l’austérité était menée tambour battant par les gouvernements précédents. À partir du 11 février, les banques grecques qui auront acheté des titres à l’État grec ne pourront plus les échanger au guichet de la BCE. Exit donc le programme d’assouplissement monétaire dit « quantitative easing » (QE). Celui-ce ne pourra pas être appliqué à l’État grec via les banques du pays. Comme quoi, la BCE n’est pas au service des banques mais seulement de certaines banques. Les banques françaises et allemandes ? Ce serait faire preuve de mauvais esprit que de l’insinuer.

La Grèce ne peut plus compter que sur l’aide à la liquidité d’urgence (Emergency Liquidity Assistance, ELA) apportée par la banque centrale grecque (membre du Système européen des banques centrales !) aux banques ordinaires à des taux plus élevés. Ce qui veut dire que la BCE agite la peur, afin que les ménages grecs se précipitent sur des retraits dans les guichets bancaires… asséchés en billets. Donc la BCE joue le chaos en Grèce.

La BCE refuse d’être le prêteur en dernier ressort

Sur les 320 milliards d’euros de dette publique grecque, 32 milliards sont détenus par le FMI, 141,8 milliards par le Fonds européen de stabilité financière (FESF), 27,7 milliards par la BCE, 53 milliards par des États européens ayant accordé des prêts bilatéraux, ce qui représente entre 75 et 80 % de l’ensemble de la dette à l’égard de créanciers publics, le reliquat des créances étant encore détenu par les banques privées. Comme le FESF se procure les sommes dont il a besoin pour aider les États en difficulté sur… les marchés financiers, avec la garantie… des autres États, et que les titres grecs détenus par la BCE exposent encore les États, certains ont pu calculer le total des expositions des États. Par exemple, l’Allemagne serait exposée à hauteur de 72,7 milliards (dont 41,3 milliards via le FESF), la France à hauteur de 55,2 milliards (dont 31 milliards via le FESF) et l’Italie à hauteur de 48,3 milliards (dont 27,2 milliards via le FESF).[1]

Beaucoup de commentateurs, tant libéraux que souverainistes, ont, depuis les élections grecques, répété à l’envi que si la Grèce suspendait ses remboursements, ce seraient les contribuables français ou allemands qui « paieraient » via leurs impôts, ou les citoyens via l’inflation déclenchée par le QE. Il faut prendre des pincettes avec ces affirmations qui soit sont fausses, soit méconnaissent ce qu’est une banque centrale.

Que se passe-t-il quand une banque centrale voit les actifs financiers qu’elle a acceptés en échange du refinancement qu’elle accorde aux banques perdre leur valeur ? Elle ne peut plus ni retirer directement la liquidité qu’elle a accordée, ni la récupérer intégralement en revendant ces titres dévalués. Elle est donc obligée d’inscrire une perte au bas de l’actif de son bilan puisque son passif (ses engagements à honorer sa signature) n’a pas varié. Doit-elle alors demander à son propriétaire (l’État ou les États composant la zone euro s’il s’agit de la BCE) de la recapitaliser, c’est-à-dire obliger cet État (ou ces États) à lever des impôts supplémentaires maintenant ou plus tard si celui-ci (ceux-ci) emprunte(nt) sur les marchés financiers de quoi recapitaliser son (leur) propre bien ? On voit le côté ubuesque que représenterait cette machinerie. En réalité, une banque centrale n’a pas besoin d’être recapitalisée puisqu’elle est la seule institution qui a le pouvoir d’augmenter ses fonds propres en créant sa propre monnaie. N’a-t-elle alors aucune limite ? C’est ici que doit être réfuté le second argument présenté par ceux qui agitent l’épouvantail « qui va payer ? ».

Une banque centrale devant face aux rebondissements d’une crise qui n’en finit pas est-elle contrainte par le risque inflationniste qui finirait par peser sur le citoyen, nous dit-on ? Oui, si les capacités de production humaines et matérielles étaient déjà pleinement utilisées et s’il n’était donc pas envisageable que les nouvelles liquidités aillent s’investir dans la production. Malheureusement, le niveau de chômage et la sous-utilisation importante (20 à 30 %) des équipements productifs dans les grands secteurs industriels en Europe sont tels que le risque inflationniste est nul, sauf sur les marchés financiers pour le prix des actifs financiers repartis à la hausse.

Le coup de force de la BCE contre la Grèce est donc la répétition de ceux employés naguère contre l’Irlande et Chypre : l’austérité coûte que coûte sinon l’asphyxie monétaire. Mourir de faim ou mourir étouffé.

Derrière le diktat politique, la vacuité théorique

Mon hypothèse est que, derrière la violence du diktat imposé par la BCE, se trouve l’un des dogmes les plus puissants de la pensée (l’a-pensée) économique dominante. In fine, l’acharnement à refuser que la banque centrale soit prêteur en dernier ressort pour les États (en fait, prêteur en dernier ressort signifierait ici prêter sur le marché primaire, ce qui montre toute la saveur du vocabulaire économique) s’enracine dans la croyance que les actifs publics (écoles, hôpitaux, infrastructures) ne seraient réels que s’ils étaient privatisés, et surtout que les travailleurs employés dans les services non marchands sont improductifs par nature. C’est une fable qui est racontée par 99 % des économistes mais qui est fausse à 100 %.[2] Nier la possibilité pour la banque centrale d’être prêteur en dernier ressort pour l’État a quelque chose à voir avec nier la possibilité pour l’État d’être employeur en dernier ressort.

Et cette fable est corrélée avec une autre, selon laquelle l’investissement net nécessite une épargne préalable. Or, dans une économie monétaire, il n’y a pas d’épargne préalable. L’épargne découle du supplément de production engendré par l’investissement net, qui lui-même suppose un financement monétaire, donc une création de monnaie. Et cela est vrai pour l’investissement privé et pour l’investissement public.


[1] Rappelons que depuis 2010, la Grèce a reçu 240 milliards d’« aide » (110 en 2010 et 130 en 2012), pendant que titres publics grecs détenus par les banques européennes avaient été rachetés par les bâilleurs publics à 50 % de leur valeur nominale quand ils ne valaient presque plus rien dans les tiroirs des banques si elles avaient voulu les vendre sur le marché. Donc, d’un côté, une annulation d’environ la moitié de la dette publique grecque et, de l’autre, des prêts pour payer les intérêts sur le restant dû.

[2] Voir J.-M. Harribey, La richesse, la valeur et l’inestimable, Fondements d’une critique socio-écologique de l’économie capitaliste, Paris, Les Liens qui libèrent, 2013.

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