Gauche alternative en Corse
Récit d’un génocide répété
Par Ziad Medoukh
C’est difficile pour moi, Palestinien de Gaza, de parler, de témoigner et de retracer cette nouvelle offensive militaire israélienne qui a duré plus de 50 jours en juillet-août 2014. C’était terrible! J’aurais besoin de pages et de pages pour décrire ce carnage, ces crimes et ces massacres israéliens contre les civils de Gaza. Mais je vais essayer le plus succinctement possible de narrer une partie de mon vécu pendant les événements horribles qu'a subi toute la population de la bande de Gaza.
Je ne vous cache pas que, bien que les bombardements soient arrêtés depuis plus d’un mois, je suis toujours, comme tout mon peuple, sous le choc, et que je ne réalise pas que je suis encore vivant, car c’était vraiment un génocide, personne n’était à l’abri, et tout le monde attendait son tour d’être tué par le missile d’un avion militaire israélien ou l’obus d’un char ou d'un tank.
Personnellement, je n’attendais pas le début de cette agression commencée le 8 juillet, car on était en plein mois de Ramadan, un mois sacré avec des rituels spéciaux. Mais, avec ce gouvernement d’extrême droite et cette occupation israélienne illégale, rien n’est sacré. Ils attaquent à n’importe quel moment.
Je me souviens du début de cette agression, le mardi 8 juillet 2014, vers 11h. J'étais au département de français de l'université avec mes étudiants et une solidaire française. Ils échangeaient avec elle, quand, soudain, les bombardements ont commencé, on a décidé de continuer bien que l’université ait évacué ses étudiants. On est resté jusqu’à 12h, puis on a quitté à cause de l’intensification des tirs. Je suis retourné à mon domicile. Sur le chemin, des ambulances et le bruit des missiles qui tombaient partout. En arrivant chez moi, j’ai demandé des nouvelles de tout le monde. En fait, les écoles avaient déjà été évacuées et chacun était rentré chez soi.
Dans l’après-midi, premier appel téléphonique d’un journaliste français qui voulait des témoignages directs, puis j'ai commencé à envoyer le premier bilan du début de cette nouvelle agression israélienne aux amis et aux solidaires, sur internet et sur Facebook, une première nuit terrible suivie de 49 jours encore plus difficiles: le début de la troisième offensive militaire israélienne contre la bande de Gaza en 5 ans!...
Cette offensive militaire contre notre peuple était différente de celles de 2008 et de 2012, bien que la guerre c’est la guerre, mais la particularité de cette attaque se résume en 7 points :
- Sa longue durée, plus de 50 jours de bombardements et d’attaques sanglantes, l’armée d'occupation a mené plus de 7000 raids.
- Le nombre de victimes, 2200 morts palestiniens, parmi eux plus de 500 enfants, et 11000 blessés.
- La destruction massive, notamment des quartiers entiers effacés de la carte, partout des tours et des centres commerciaux détruits
- Les attaques sanglantes qui ont visé des écoles abritant les réfugiés, le centre de la ville de Gaza soit disant sécurisée, où personne dans aucun lieu n'était à l’abri.
- La résistance militaire palestinienne acharnée, les factions ont lancé des roquettes jusqu’à la dernière minute avant le cessez le feu
- La résistance exemplaire de notre population civile, solidarité familiale et unité nationale.
- La forte mobilisation internationale et les manifestations de soutien à la population de Gaza et contre les crimes israéliens, partout dans le monde.
Pendant cette guerre, l’armée de l’occupation a semé la terreur et l’horreur dans une région qui subit déjà un blocus inhumain et illégal, depuis plus de sept ans.
Le véritable objectif israélien est de casser la volonté remarquable de cette population civile résistante qui, malgré ce blocus et deux guerres passées, continue de résister et d’exister.
Pour moi, j’ai vécu cet événement comme toute ma population avec un quotidien particulier : bombardements- missiles qui tombent toutes les trois quatre minutes-attaques-peur-inquiétude- pénurie d’électricité et d’eau-isolement-manque de médicaments et de produits alimentaires.
Mais avec cette particularité que j’ai été sous pression et débordé. Primait mon devoir de rédiger un compte rendu quotidien et un bilan de l’agression israélienne et de l’envoyer via internet et les réseaux sociaux à tous les amis solidaires, aux associations de soutien à la Palestine et aux médias francophones, une tâche difficile, notamment à cause des coupures d’électricité permanentes et de la situation de guerre. Il faut ajouter à cela mes témoignages de tous les jours, voire de toutes les heures à plusieurs chaînes de radio, de télévision et aux journaux francophones qui me sollicitaient sans cesse. Sans exagération, je devais répondre par jour à 30 à 40 appels téléphoniques qui venaient de tous les pays francophones.
Je peux dire que durant cette guerre, ma seule joie était le retour du courant électrique, ne serait-ce que deux ou trois heures par jour, pour envoyer les nouvelles et charger mon portable. C’était très important pour moi ce bilan quotidien, car je tiens beaucoup à la solidarité populaire avec notre cause de justice, notamment devant le silence complice de la communauté internationale officielle et la brutalité de l’agression israélienne.
Quand le courant électrique revenait à n’importe quel moment de la journée, le matin, le soir, à l’aube, même à 2h ou 3h du matin, un état d’urgence était décrété chez moi, personne dans la maison n’avait le droit de me parler ou de me demander quoi que ce soit, la priorité était d’envoyer mon compte rendu, et j’ai laissé tomber beaucoup d’obligations familiales, car je suis convaincu de l’importance de cette solidarité internationale. Je voulais informer sur notre quotidien et le bilan de l’agression. Je profitais au maximum du courant électrique Je regroupais les photos et les informations de plusieurs sites et sources médicales pour les envoyer, je n’avais pas le temps de m’occuper de mes enfants et de ma famille, et même quand on a reçu chez nous des familles et des proches qui venaient d’autres régions menacées, ils n'osaient me parler quand l'électricité revenait
Pendant les premiers 24 jours du carnage israélien, j’ai réussi à envoyer mon bilan quotidien à des milliers de personnes, et même si je n’avais pas le temps de lire et de répondre à tous les messages qu'ils m’adressaient, combien j’ai été conforté de savoir le soutien sans relâche de ces gens de bonne volonté. Et maintes fois, malgré le risque et les bombes qui tombaient, je suis allé chez des voisins et chez des amis qui avaient de l’électricité pour envoyer mon bilan journalier, car je voulais que tout le monde connaisse notre souffrance et notre douleur suite à ce nouveau génocide israélien.
Vous ne pouvez imaginer ma tristesse et ma frustration quand la centrale électrique de Gaza a été totalement détruite par l’aviation israélienne fin juillet 2014. Pendant 8 jours, aucun foyer de Gaza n'a eu d’électricité, j’étais isolé, je ne pouvais pas sortir de chez moi, car c’était la ville de Gaza qui était visée. Heureusement qu’il y avait le portable , les amis m’appelaient, je ne voulais pas répondre afin de ne pas décharger ma batterie mais les dizaines d’appels de ceux qui s’inquiétaient pour moi, eux et des centaines de personnes qui demandaient de mes nouvelles, m’ont rassuré. Cinq amis de France, Belgique, Algérie et Maroc ont décidé de m’appeler tous les jours pour avoir des informations sur moi et sur la situation à Gaza, afin de rassurer sur internet les autres amis qui étaient très inquiets de mon silence.
Le moment le plus difficile durant cette agression fut quand je ne pus sortir de chez moi pendant une semaine, quand le centre de la ville de Gaza soit disant sécurisé fut bombardé- même mon quartier a été visé , 3 maisons ont été détruites, et 4 voisins tués- Le seul endroit où je pouvais aller était la maison de mon voisin qui a un générateur, pour charger mon portable, trente minutes seulement tous les deux jours. Mon voisin comme beaucoup de mes amis me parlait souvent de cette mobilisation pour Gaza, notamment en France, et de la volonté des gens de manifester dans les rues, malgré l’interdiction officielle.
Pendant les 50 jours, je n’ai pas dormi, même pas deux heures par jour, j’ai quelquefois passé deux ou trois jours sans dormir, pas seulement par inquiétude de ces bombardements aveugles, mais pour répondre aux appels téléphoniques qui venaient de beaucoup de pays, en particulier du Québec, avec le décalage horaire.
Pendant cette agression israélienne, j’avais comme tout mon peuple plusieurs sentiments : fierté, confiance, force, courage, peur, inquiétude et soulagement.
Mon quotidien durant cette guerre a été très difficile et très particulier : aller au marché tous les deux, trois jours avec beaucoup de risques, acheter de quoi nourrir ma famille, demander des nouvelles aux voisins, appeler les amis et les proches quand il y avait des bombardements dans leurs quartiers, puis rester tout le temps chez moi pour suivre les informations, notamment à partir des radios qui fonctionnent à l'aide de batterie, et quand le courant électrique revenait, l’installation devant mon ordinateur pour écrire mon bilan et garder le contact avec le monde. Cette situation m'était particulière car je n’ai pas l’habitude de rester chez moi, je restais souvent tard au département de français. J’ai profité des jours de trêve pour aller à mon travail préparer la rentrée prochaine.
Lors de l’écriture de mes témoignages quotidiens et de leur envoi à mon réseau, trois éléments m’ont marqué :
- J’étais gêné quand les amis et les solidaires me remerciaient, je n’avais pas besoin de remerciements, je faisais mon devoir d’informer, et ce n'est rien par rapport aux sacrifices de nos martyrs et de nos blessés qui ont donné de leur sang pour que vive la Palestine et pour que Gaza reste digne, l’information fait partie de la résistance.
- Le soutien de ces amis et solidaires à Ziad Medoukh, c’était un soutien à Gaza, ce sentiment me rendait fier, mais responsable devant ces milliers de personnes que je devais informer au jour le jour sur la situation
- Le regret de ne pas avoir le temps de répondre à tous les messages: j’ai découvert plus de 20000 messages sur ma boite email et sur Facebook venant de centaines d’amis et de solidaires.
Un aspect très positif, j’ai gagné beaucoup de nouveaux amis- plus de 3000 nouveaux qui m’ont ajouté sur Facebook-, j’ai découvert des personnes extraordinaires, de vrais solidaires, des gens de bonne volonté, qui veulent soutenir Gaza et la Palestine. Ces personnes de beaucoup de pays étaient très inquiètes quand je ne pouvais pas envoyer mon bilan, leurs messages si sincères et si proches me rendent plus déterminé que jamais, ces gens ont gardé le contact avec moi et on continue d'échanger.
J’ai parlé en direct à 15 manifestations en France et en Suisse, les cris des solidaires du slogan « Palestine vivra, Palestine vaincra !» Me rendent fort et m’encouragent à résister, car derrière nous il y a des millions de personnes dans le monde qui expriment leur colère contre les crimes israéliens et pour soutenir les Palestiniens de Gaza.
Un aspect qui m'a frappé dans les appels et les messages de beaucoup de personnes de différentes nationalités et de différentes confessions est que tout le monde prie pour moi : les amis musulmans, les chrétiens, les juifs, même les non croyants et les athées, j’ai été très ému par le nombre de messages mais surtout par leur contenu. Parmi ceux qui m’ont vraiment touché :
« Et j'écrirai votre nom Ziad Medoukh et celui de Gaza dans une prière spéciale pour vous, que les sources d'eau pure jaillissent en grand nombre à Gaza. »
« Je l'ai écouté hier, en pleine circulation... j'ai failli emboutir la voiture qui était devant moi. Entendre le témoignage de Ziad Medoukh, alors que j'ai plutôt l'habitude de le lire... Entendre sa voix triste énoncer l'horreur absolue... »
« Je ne souffle que quand tu nous écris Ziad Medoukh, mais à mon grand malheur dès que je te lis je suis encore plus anéantie. »
« Avec toi, Ziad j'ai eu peur, avec toi, j'ai pleuré, avec toi, j'ai espéré ! »
« Nous sommes tous des Palestiniens, nous sommes tous des Gazaouis. »
Parmi les moments douloureux de cette guerre, celui où j’ai composé mon poème : « Ne pleure pas maman si je tombe en martyr. » J’attendais mon tour comme tous les civils de Gaza, avec les bombardements intensifs et aveugles. Ce poème a suscité beaucoup de réactions chez mes amis malgré sa tristesse, mais il montre l’état d’esprit de ce danger qui touche tout le monde à Gaza.
J’ai profité de la trêve pour aller au département préparer la rentrée prochaine et établir un programme de soutien pour mes étudiants. A propos de ceux-ci, j’ai été fier d’eux : ils ont écrit et informé leurs amis sur les réseaux sociaux de ce que se passe à Gaza, ces jeunes étudiants de 19-20 ans qui témoignaient tous les jours, écrivaient des articles et répondaient aux questions des journalistes malgré une situation de guerre, et malgré leurs deux ou trois ans de français, quel courage !
J’ai pleuré plusieurs fois, je me suis senti impuissant devant les corps des enfants massacrés, mais je n’ai jamais montré mes larmes ni à ma famille, ni aux amis quand ils m’appelaient pour avoir de mes nouvelles, eux qui pleuraient au téléphone.
En dépit de notre vécu tragique pendant ces 50 jours de terreur où Gaza a supporté l’insupportable, les deux éléments qui m’ont rassuré sont :
- la volonté remarquable et la patience exemplaire de notre population civile malgré l’ampleur de cette guerre.
- la mobilisation internationale et le soutien populaire partout dans le monde, toute la population a apprécié cette solidarité qui a participé à faire pression contre les gouvernements.
On peut dire qu’aucun objectif israélien de cette nouvelle offensive n’a été réalisé, notre population digne est toujours débout.
Un mois après l’arrêt de cette nouvelle agression, de ce nouveau génocide contre notre peuple, rien n’a changé à Gaza, le blocus est toujours là. Tant que les crimes israéliens ne sont pas jugés et tant que dure l’impunité d’Israël, un nouveau génocide se prépare.
La forte mobilisation pour Gaza partout dans le monde pendant l’agression israélienne, très appréciée par notre population civile, devrait être poursuivie, car, avant et après cette agression, la situation est toujours marquée par le blocus israélien, la fermeture des frontières et l’interdiction d’acheminer beaucoup de produits et de matériel.
Après tout, malgré toutes les pertes humaines et la destruction massive, malgré ces 50 jours de terreur, je suis plus que jamais déterminé à continuer ma résistance quotidienne dans la bande de Gaza à travers l’éducation et le travail avec mes jeunes pour une ouverture sur le monde, avec le soutien des solidaires de notre cause juste pour une Palestine de liberté et de paix durable, une paix qui passera avant tout par la justice.