Gauche alternative en Corse
En Corse nous sommes à l’heure du premier bilan de la saison touristique avec le même sujet de fond depuis des décennies : Le tourisme est-il pour la corse un mal nécessaire dont il faut contenir l’ampleur ou bien, comme le prônait l’ancienne revue « La Corse touristique[1] » dès sa parution en décembre 1924, que l’avenir de notre île est dans le tourisme, non pas uniquement mais surtout dans le tourisme. Aujourd’hui, l’activité touristique et ses corollaires représenteraient 20% du produit intérieur brut insulaire
Conséquence de la crise et malgré un taux de réservations prometteur en Juin dernier (20% de plus qu’en 2012) et une météo exceptionnelle. la saison touristique serait maussade. Une hausse des passagers enregistrée en juin/Juillet serait en partie due au Tour de France. Il reste le mois de septembre annoncé prometteur avant un bilan définitif. Selon l’Agence du Tourisme corse, la Corse a accueilli trois millions de touristes en 2012, elle en aurait accueilli 2,5 millions au bilan dressé en juin dernier. Toutefois les retombées économiques ne se comptent pas uniquement en nombre de visiteurs. L’augmentation des lignes aériennes et de leurs passagers sont compensés par une baisse de la fréquentation des lignes maritimes. Ensuite, il faudra faire les bilans de l’hôtellerie, de la restauration et de toutes les retombées économiques éventuelles pour se faire une idée de l’évolution touristique de la Corse.
Au-delà des chiffres, la Corse mérite mieux qu’un tourisme estival de masse ou de luxe. Il faut éviter de se perdre dans le triangle des bermudas ou les mille et une nuits de la jet set. Dans la revue « La Corse touristique », François Pietri écrivait en décembre 1924 : « Et il nous plairait assez de prouver à ces visiteurs que nous avons une histoire, une culture et une morale ». Il souhaitait que « Le touriste s’intéresse autant à notre histoire, à nos légendes, à nos coutumes qu’il s’intéresse à nos sites et nos paysages ». Malheureusement, la Corse n’est pas encore sortie d’un tourisme saisonnier entre la fièvre de l’été et la léthargie de l’hiver avec ses conséquences sur l’emploi, l’adaptation des capacités d’accueil tour à tour insuffisantes et excédentaires, la flambée saisonnière des prix, la spéculation immobilière… etc. Cela explique en partie que le tourisme soit vécu comme une invasion, même si l’économie corse en a besoin.
La Corse est un décor de rêves qui tournent parfois au cauchemar, elle ne doit pas sombrer dans un luxe vulgaire. Elle a sa généalogie de gens de la terre et de la mer. Elle est riche de sa culture et de son passé humain. Elle crée et entreprend. Sa destinée n’est pas de suivre le modèle de ces petites îles privées devenues des repères pour mafieux et milliardaires.
Lors d’une randonnée pédestre dans un parc naturel, nous avons lu à l’entrée un panneau qui reprend le premier paragraphe de l’inscription faite par Rabelais à l’entrée de Thélème… Quelle belle et juste « mise en garde » pour ceux qui viennent en Corse sans aucun respect pour sa population, sa faune et sa flore. Nous n’avons pas résisté à la nécessité de la rappeler … Donc la voici !
Ici n’entrez pas, hypocrites, bigots,
Vieux matagots, marmiteux, boursouflés,
Torcols, badauds, plus que n’étaient les Goths,
Ou les Ostrogoths, précurseurs des magots,
Porteurs de haires, cagots, cafards empantouflés.
Gueux emmitouflés, frappards écorniflés,
Bafoués, enflés, qui allumez les fureurs;
Filez ailleurs vendre vos erreurs.
Pour tous les autres, la Corse est hospitalière et ses habitants respectent qui les respecte. Entrez en Corse comme vous seriez entrés dans l’abbaye de Thélème et vous apprendrez des choses que Camus aurait appelé les « divins secrets » : ce qui, hérité des arcanes de la nature, échappe aux sciences. Entrez dans la magie corse comme dans un musée imaginaire !
On le dit et on le redit : il faut développer encore et encourager un tourisme qui n’a pas de saison. Vanina Pieri, responsable de l’agence du Tourisme corse, constatait dans un entretien paru le 17 avril dernier sur le site Corse.net.com : « La force de la Corse, aujourd’hui, est de concentrer sur un seul territoire une offre complémentaire qui va du camping à l’hôtellerie de luxe en passant par la résidence de tourisme. C’est aussi d’avoir 9 microrégions organisées en pôles avec 9 identités différentes. Pour le visiteur, la Corse n’est pas une région, mais véritablement un pays composé de littoral, de plaine, de moyenne montagne, de haute montagne, le tout dans une complémentarité et sur un périmètre très restreint ». C’est justement aussi ces atouts qui doivent permettre d’éviter le choix entre un tourisme de masse ou un tourisme de luxe. L’objectif de toute activité économique insulaire doit être de permettre aux Corses de vivre et de travailler toute l’année sur l’île. Le défi est donc bien de créer un tourisme à l’année, intégré dans un développement local qui associe la population à la manne touristique, avec une clientèle diversifiée à la recherche aussi d’un dépaysement et de découvertes. C’était le souhait des fondateurs de la revue « La Corse touristique » et on le retrouve dans le discours de Mme Vanina Pieri.
Pour que le tourisme soit un atout de l’économie corse, il faudra qu’il ne reste pas un mal nécessaire avec ses dégâts collatéraux. Il est perçu alors comme destructeur d’harmonie sociale, de culture, d’environnement et d’identité. Il faut donc repenser le tourisme en termes de développement social, de valorisation des cultures et de préservation de l’environnement.
Depuis trop longtemps, on se pose la question « Quel tourisme pour la Corse ? », tout en continuant à le considérer comme un mal nécessaire avec pour seule règle celle du marché. Pourtant les objectifs devraient être clairs et trouver une volonté politique contre ceux qui préférent à court terme l’enrichissement rapide de quelques uns et la spéculation foncière.
Nous devons sortir des incantations et de la fatalité saisonnière tant que nous pouvons encore échapper aux dérives irréparables qui mettent en danger notre mode de vie, notre identité et notre environnement. Le développement touristique ne doit pas conduire à la perte de la terre (notamment pour nos éleveurs et nos agriculteurs), de nos ressources et de nos sites.
Le tourisme peut apporter aux Corses le pire et le meilleur selon les choix politiques qui seront faits. L’enjeu est de préserver nos ressources naturelles, culturelles et humaines dans une perspective durable et responsable, c’est-à-dire inspiré par un choix de société équitable... L’agence du tourisme de la Corse a édité une étiquette « qualité corse »… Dans les mots « équitable » et « étiquette », nous puisons celui d’éthique auquel nous portons un utopique toast…
Vi salutu cù u fiascu è cù l’imbutu !...
Fiadone
[1] Directeur de " La Corse Touristique ", François Pietri, a écrit de très nombreux éditoriaux. Le tourisme, l'accueil, la valorisation de l'intérieur de l'île, l'image de la Corse et des Corses, sont de ses sujets qui restent particulièrement d'actualité... Les articles parus de décembre 1924 à octobre 1924 ont été édités dans un ouvrage par La Marge Edition en 1990. La revue qui se définissait comme « Organe mensuel des intérêts insulaire économique, historique et littéraire » n’existe plus.