Gauche alternative en Corse
La liberté d'opinion et d'expression est l'une des premières libertés politiques et plus généralement des libertés fondamentales. On connaît la formule : « La liberté des uns s’arrête où commence la liberté des autres ». Les autres ont aussi des droits fondamentaux et le respect de la personne implique une limitation de la liberté d’expression. Cette liberté existe sous réserve d'en répondre devant les tribunaux en cas de diffamation ou calomnie... Existent donc aussi les restrictions imposées à la notion de liberté d'expression pour toute parole publique, comme pour l'incitation à la haine et au meurtre. Sans entrer dans une argumentation juridique que nous laissons aux experts, l’affaire Dieudonné illustre bien la limite à ne pas franchir et, en vertu de laquelle Dieudonné a été déjà condamné neuf fois. Il s’agit donc d’un multirécidiviste qui s’est soustrait aux condamnations financières et agit en toute impunité depuis des années. Il utilise la liberté d’expression en franchissant ses limites et en incitant obsessionnellement à la haine contre les Juifs. Par son incivisme et son comportement délictuel, il aura provoqué la censure de son spectacle et la remise en cause de la liberté d’expression. Comme dans le passé, il va rentabiliser sa victimisation en vendant cher son DVD. La question reste : où va son argent ?
D’aucuns comparent les propos de Dieudonné à ceux de Geluck, de Desproges, de Guy Bedos et du journal Charly l’Hebdo. La comparaison est caricaturale car seul Dieudonné s’affiche publiquement et constamment comme antisémite et négationniste. Sur le site de FranceTv Info, François Jost (professeur à l'université Sorbonne Nouvelle-Paris 3 et directeur de la revue Télévision) l’explique : Mais ce qui compte, ce n’est pas seulement ce qui est dit, c'est aussi ce que l'on connaît de l’énonciateur et du contexte dans lequel il parle. Or Dieudonné a proféré plusieurs fois des attaques antisémites, dans des contextes tout à fait sérieux, comme à l'encontre de Patrick Cohen, en évoquant les chambres à gaz. Il a également invité Alain Soral sur scène, alors que ce dernier n'est pas un showman. Tous ces propos attestent qu’il pense vraiment ce qu’il dit et que ce n’est pas "pour rire".
Le journal Charlie l’Hebdo a répondu à « un certain nombre d’abrutis qui, sur France Inter notamment, n’ont pas hésité à comparer le cas Dieudonné avec celui de Charlie Hebdo. Dieudonné est poursuivi lorsqu’il tient des propos antisémites, pourquoi Charlien’est-il pas poursuivi lorsqu’il met en scène les symboles de l’islam et des musulmans de manière caricaturale? D’abord, Charlie Hebdoest régulièrement poursuivi par l’extrême droite catholique et l’extrême droite musulmane. Le fait est que notre journal n’est jamais condamné pour racisme lorsqu’il se moque de quelques adeptes d’une religion. Pourquoi? Parce que, pour la millième fois, insulter une prétendue race n’est pas la même chose que de se moquer des aspects d’une religion. Critiquer un courant de pensée, ce n’est pas du racisme. Critiquer Marx et se moquer des communistes, ce n’est pas du racisme anticommuniste. Critiquer Descartes et se moquer des cartésiens, ce n’est pas du racisme anticartésien. Insulter les Juifs parce qu’ils sont Juifs ne revient pas au même que de se moquer de la manière dont certains juifs pratiquent la religion juive. Hélas pour les mal-comprenants, il n’y a qu’un mot pour désigner celui qui se déclare issu du peuple juif et celui qui pratique la religion juive… Il y a Juif et juif. Notez qu’on met une majuscule au «Juif» du peuple juif ». Nous citons ce passage d’un article publié par cet hebdomadaire satyrique qui fait la distinction entre critique satyrique d’un courant de pensée et racisme. Les diatribes de Dieudonné n’ont rien à voir avec la ligne éditoriale de Charly l’hebdo. Il s’agit bien chez lui d’antisémitisme, de haine du Juif sous couvert d’antisionisme. Il va même jusqu’à des allusions négationnistes suffisamment explicites pour tous et condamnables.
Toutefois sa « quenelle gammée » aura lancé un débat sur la liberté d’expression et permet de rappeler ses limites démocratiques sans lesquelles l’Histoire ne servirait à rien et ne nous enseignerait aucune sagesse puisque des génocides pourraient être niés et la haine se propager à nouveau. Dieudonné et le diable vous le rendra ! Il ne faut surtout pas retomber dans l’angélisme du slogan « il est interdit d’interdire » pour laisser libre cours au racisme dont l’antisémitisme n’est qu’une spécificité rendue tragiquement particulière par la Shoah. Nous savons où a conduit l’antisémitisme en 1939 et de quoi il est capable. La question n’est pas « Peut-on encore rire de tout » mais doit-on rire de tout ? On peut rire de tout mais il ne faut pas le faire. C’est sans doute ce que chacun devrait se dire. C’est une clause de conscience. Tous les grands humoristes se la posent sans doute, même ceux qui pensent que l’on peut rire de tout. Seuls les propagandistes comme Dieudonné l’ignorent volontairement. Il faut la rigueur de la loi contre ceux qui se servent du rire pour répandre la haine. Toutefois, lorsque cette rigueur s’applique conformément à l’esprit de la loi, elle n’a pas besoin de se transformer en censure, c’est-à-dire en interdiction préventive.
L’affaire Dieudonné, si nous déplorons la publicité qui lui a été offerte, est l’occasion de lire ou de relire le portrait de l’antisémite publié par Jean-Paul Sartre dans la revue des « Temps modernes », article repris dans « Réflexions sur la question juive », un petit opus didactique et pédagogique. Il ne faudrait pas retomber dans les cinq ans des années 1939 à 1945 avec sa campagne antisémite et le sort réservé au Juifs, raflés, poursuivis, déportés, exterminés et ignorés. Si nous laissons à nouveau le venin antisémite inoculé par un pseudo-humoriste proche de l’extrême-droite se répandre, l’Histoire ne nous aura rien enseigné. Veut-on à nouveau accepter que les Juifs deviennent « autres » exclus de la communauté nationale ? On ne fait pas ce que l’on veut et pourtant on est responsable de ce que l’on est. C’est en ce sens que nous sommes condamnés à la liberté. Nous sommes responsables de nos choix. « Rire des propos antisémites haineux » illustre un choix condamnable car le rire est alors une forme d’acquiescement. On ne peut pas interdire le rire mais on peut condamner les propos antisémites et plus généralement ceux qui incitent à la haine raciale. En public, on ne peut pas faire rire de tout. Certes, tous ceux qui sont nés après 1945 ne sont pas individuellement responsables de la Shoah. Il s’agit d’une responsabilité collective à ne pas reproduire. De la même manière, les Juifs ne sont pas individuellement responsables de la politique menée par l’Etat israélien contre les Palestiniens. L’antisionisme ne doit pas être une forme masquée de l’antisémitisme.
Le 9 janvier, un chroniqueur estampillé Canal +, Pierre-Emmanuel Barré, s'est fendu d'une chronique humoristique sur notre île, dont voici le lien: http://www.canalplus.fr/c-infos-documentaires/pid6591-c-barre.html?vid=999507. Est-ce de l'humour ou du racsisme?
Le racisme prend souvent une forme rampante et des personnalités qui s’élèvent aujourd’hui contre Dieudonné pourraient se voir rappeler quelques unes de leurs déclarations (sans humour) envers notamment les Roms ou bien encore les Corses. N’est-ce pas Monsieur Manuel Valls ? N’est-ce pas Monsieur Christophe Barbier ? Non, messieurs les moralistes d’aujourd’hui, les Corses ne sont ni culturellement ni cultuellement violents, pas plus qu’ils ne sont tous fainéants. Ils ne sont pas les complices ataviques et muets des assassinats et de la mafia. Si nous n’avons aucun moyen d’interdire les discours anticorses, nous sommes étonnés que de tels propos n’aient pas été publiquement condamnés par l’ensemble de la presse française et tous les politiques prompts à dénoncer l’antisémitisme. Par ailleurs nous aimerions que tous ceux qui condamnent le négationnisme en ce qui concerne la Shoah en fassent de même pour tous les négationnismes comme celui qui nie le génocide de 1915 avec ses 1500000 morts arméniens ou plus proches de nous les génocides cambodgien et rwandais.
La liberté d’expression reste une liberté fondamentale et nous sommes heureux d’en user sans en abuser. Elle ne peut devenir une arme de la haine, destructrice de la démocratie, entre les mains de ceux qui, dans leur généalogie historique et politique, ont toujours voulu la supprimer. La haine n’a jamais été le fondement de la tolérance. Doit-on laisser un antisémite multirécidiviste et provocateur insulter impunément le Juif et narguer des hommes au nom des droits de l’homme ? L’interdiction de son one man show affligeant ne remet pas en cause la liberté d’opinion et d’expression dont les limites sont déjà fixées par la loi. Nous pensons qu’il fallait agir mais cela aurait pu être fait depuis longtemps, ce qui aurait évité le spectacle médiatique actuel et l’usage de la censure en établissant une jurisprudence administrative qui pourrait s’avérer liberticide. Par ailleurs, un recours devant la Cour européenne pourrait se retourner contre Manuel Valls et coûter cher à l’Etat français, ce qui serait une victoire pour un délinquant récidiviste qui aurait organisé son insolvabilité depuis longtemps sans que la Justice et le Fisc ne lui demandent des comptes.
Battone