Gauche alternative en Corse
Inspiré des Pauvres gens, le poème de Victor Hugo, cette chronique sociale raconte l'histoire d'un couple heureux depuis trente ans (Michel et Marie-Claire), comblé par leurs enfants et leurs petits-enfants, fiers de leurs combats syndicaux, qui voit brutalement leur bonheur voler en éclats lorsque deux hommes armés et masqués font irruption à leur domicile, les frappent, les attachent et s'enfuient avec leur carte de crédit. Leur désarroi est d'autant plus violent lorsqu'ils apprennent que cette brutale agression a été organisée par l'un des jeunes ouvriers licenciés en même temps que Michel. Ils vont peu à peu s'apercevoir que leur agresseur, Christophe ( Grégoire Leprince-Ringuet), n'a agi que par nécessité. En effet, il vit seul avec ses deux petits frères et s'en occupe admirablement, veille à leurs études comme à leur santé...
Rythmée par la rengaine de Pascal Danel, l’histoire est ancrée dans le petit port de l’Estaque, un site géographique cher au cinéaste. Ce film est le reflet d'une remise en question des combats politiques et syndicaux. Guédiguian a inventé une nouvelle famille sur fond de crise et malaise social. On retrouve dans la distribution la bande chère au cinéaste : Jean-Pierre Darroussin (Michel), Ariane Ascaride (Marie-Claire), Gérard Meylan, Marilyne Canto. Mais aussi un panel de la nouvelle génération : Grégoire Leprince-Ringuet (Christophe), Anaïs Demoustier, Adrien Jolivet, Robinson Stevenin.
Dans ce nouveau mélodrame social, Guédiguian déplace les lignes entre le bien et le mal en voulant montrer les effets du capitalisme financier. Il traite du chantage patronal sur les ouvriers mais aussi du risque d’embourgeoisement des représentants syndicaux. Il montre quelques banderoles : « La lutte c’est classe », « La crise c’est eux, la solution c’est nous ». Hors caméra, il explique : « La nouvelle génération, ne vit pas mieux que la nôtre, alors que nous vivions mieux que nos parents, et nos pères mieux que nos grands pères ». Cette nouvelle génération est incarnée par Christophe. Ecœuré par le tirage au sort des licenciés et soucieux d’élever ses petits frères, il fait équipe avec un malfrat. Il n’a personne pour l’aider. Il estime que la solidarité n’a pas joué. Pour lui, Michel est devenu un petit bourgeois préretraité, avec sa maison, sa famille, ses amis, sa prime de licenciement et bientôt sa retraite…
Au début de sa carrière, Guédiguian s’interrogeait sur la meilleure façon de faire un film politique dans son film « Attaque ». En 2011, avec les Neiges du Kilimandjaro, le cinéaste fait un retour à l’Estaque mais aussi à toute sa filmographie : Dernier été ( avait 25 ans), A la vie à la mort, Marius et Janette…Ces personnages vieillissent. Ils avaient 25 ans dans « Dernier été », 40 ans dans « Marius et Jeannette »… et puis Guédiguian a exploré d’autres horizons : l’histoire avec « Le promeneur du champ de Mars, l’Arménie avec « Voyage en Arménie » sur fond déjà des polar et dans la foulée un polar « Lady Jane ». Ses personnage, comme lui, ont vieilli, muri. Il a déclaré avoir voulu, avec « Les neiges du Kilimandjaro », voir l’état du monde ouvrier aujourd’hui et par la même occasion l’état de son cinéma.
« Les neiges du Kilimandjaro » est un film qui s’assume pleinement de gauche avec l’esthétique populaire d'une solidarité qui veut "réenchanter le monde". Il n’évite cependant pas l’autocritique et la remise en cause.
«Le courage c'est de ne pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe, et de ne pas faire écho, de notre âme, de notre bouche et de nos mains aux applaudissements imbéciles et aux huées fanatiques. » Sans doute le propos de Guédiguian est dans cette citation de Jaurès déclamée par Michel (Daroussin), fan de Spiderman et syndicaliste humaniste. Il a le courage de se dominer pour emporter une victoire sur lui-même.
Guédiguian nous a offert un beau film, avec un regard lucide donc forcément pessimiste mais aussi, entre les mailles, de la générosité, de la nostalgie, de l’humour, de l’amour et donc de quoi rester optimiste malgré tout.
Signé: Pidone