• Trois questions à...

    cdric%~1

    à Cédric Durand (Maître de Conférences à l'Université Paris 13) et membre des économistes atterrés.

    Manca alternativa. Les économistes bien pensants défilent sur les écrans de télé ou sépanchent abondamment dans la presse écrite ou sur les radios.Tous ou presque entonnent le même credo. La crise est là. La dette publique senvole un peu partout, en particulier en France. Elle atteint des niveaux catastrophiques.  LEuro est en danger. On ne peut pas faire autrement que de se plier aux injonctions des marchés financiers. La seule solution, cest de réduire les dépenses publiques et de mener une politique sévère daustérité. Que répondez-vous à ces économistes, à ces nouveaux « chiens de garde », comme lécrivait déjà en 1932,avec pertinence Paul Nizan ?

    Cédric Durand. Les peuples d'Europe sont soumis à une vague d'austérité sauvage, inédite par sa violence dans les pays développés au moins depuis la seconde guerre mondiale. La Grèce on le sait est ravagée par ce feu roulant. Mais, l'incendie désormais n'épargne personne. D'Athènes à Londres, de Rome à Madrid, de Budapest à Dublin, les variantes vont de l'infâme au sauvage. La France est entrée dans la danse avec un temps de retard, mais les deux premiers plans d'austérité annoncés depuis l'été par le gouvernement Fillon ne sont que les premières gouttes de l' amer purgatif qu'il nous concocte..

    Ces politiques d'austérité généralisées sont bêtes, méchantes et dangereuses. Bêtes, car elles répètent les erreurs des années 1930 : la contraction brutale des dépenses publiques est en train de précipiter le monde dans une nouvelle grande dépression. La logique absurde du mécanisme est illustrée par les missions à répétition de la Troïka en Grèce : à chaque visite elle prend acte d'une dépression qui s'aggrave, et en prend prétexte pour imposer de nouvelles mesures qui ne font qu'empirer le mal. Depuis bientôt 18 mois que le pays est sous tutelle, la dette publique rapportée à la richesse du pays n'a pas diminuée mais au contraire a explosé !

    Ces politiques sont méchantes aussi. Si les individus ne sont pas directement réduits en esclavage, la violence structurelle qu'implique le « gouvernement par la dette » n'en est pas moins effarante. Généralisation du chômage et de la pauvreté constituent les aspects les mieux connus du siphon dans lequel se disloquent les sociétés. Pour en rester au cas grec, les revenus ont diminué d'un quart, la jeunesse en est réduite à se tourner vers l'émigration pour se trouver un avenir. Il est devenu de plus en plus difficile de se soigner.  Les blessures sont profondes. Une étude publiée dans The Lancet établit un constat alarmant sur l'évolution de la situation sanitaire en Grèce – pays aux avant-postes du processus de paupérisation par la dette : entre 2007 et 2009, les budgets hospitaliers ont diminué de 40 %, on observe une hausse de 14 % du nombre de Grecs qui se considèrent en mauvaise ou très mauvaise santé. Le nombre de suicides a augmenté de 17 % et la tendance s'est ensuite accélérée : plus 25 % en 2010 par rapport à 2009, et plus 40 % au premier semestre 2011 par rapport à la même période de l'année précédente....

    Alors, bien sûr, il y a bien une petite musique dans l'air sur le thème de faire payer les riches. Mais d'après le Financial Times qui a fait le tour de la question rien de sérieux : « Il n'y a aucun signe de retour aux taux d'impositions élevés une génération plus tôt (...). Non seulement, les riches bénéficient d'une croissance de leur revenu plus rapide que celle du reste de la population, mais il peuvent se sentir tranquilles car il est peu probable que les systèmes fiscaux actuels n'en viennent à les pressurer sérieusement ». Bref, on est loin du temps où les Beatles contrariés par un taux d'imposition à 97% sur les plus hauts revenus chantaient Taxman !

    Les politiques d'austérité sont dangereuses enfin. Car leur violence économique et sociale se traduit bientôt sur le terrain politique et policier.  En Grèce et en Italie, les derniers plans d'austérité n'ont pu être adoptés par les parlements que grâce au secours des matraques et aux gaz lacrymogènes des forces de police. Et avec le délitement social à grande vitesse, les tentations autoritaires commencent à resurgir. Car, comme l'a montré Gramsci, il n'y a que deux leviers pour gouverner : le consentement et la force. Avec de telles politiques d'austérité, gouverner par le consentement devient impossible, il ne reste alors que la force. Aujourd'hui, déjà, en Grèce et en Italie les formes habituelles de la démocratie libérale parlementaire sont suspendues : à la suite de ce qui s'apparente à des formes de coup d'État financiers, les gouvernements soit-disant techniques dirigés par Mario Monti et Lucas Papademos sont directement branchés sur les exigences des marchés financiers et de la Troïka (BCE, FMI, commission européenne) pour affronter sans détour tout ce qui pourrait freiner les mesures qu'ils entendent imposer.

    Manca alternativa. Que pensez-vous des propositions du Parti socialiste en matière économique ? Sont-elles de nature à sortir le pays de la crise ?

    Cédric Durand. Heureusement, le PS n'en est plus à défendre les baisses d'impôts comme à la fin des années 1990... Mais, la question centrale aujourd'hui est le refus de l'austérité. Cela implique de couper le cordon avec le financement public par les marchés financiers. Et là, malheureusement rien de neuf. La proposition des eurobonds par exemple ne fait que déplacer le problème mais n'empêche aucunement la finance de poursuivre le chantage qu'elle exerce sur les populations via les États. De plus, du fait de son engagement inconditionnel vis-à-vis de l'Europe néolibérale, le PS n'apparaît pas en mesure d'assumer les ruptures politiques indispensables à une orientation effectivement alternative. Enfin, au delà de l'immédiat de la crise de la dette en Europe, nous faisons face à une grande crise civilisationnelle qui invite à remettre en cause le  capitalisme en tant que tel. Hélas, c'est un terrain que le  PS a depuis bien longtemps déserté.

    Manca alternativa.Quelles mesures vous semblent les mieux adaptées pour résoudre le problème de la dette publique et pour mettre fin à lhégémonie des marchés financiers ?

    Cédric Durand. La question centrale est de savoir jusqu'où va t-on s'enferrer dans la logique culpabilisatrice du gouvernement par la dette ? Creusée pour amortir le choc de l'effondrement financier et pour compenser les privilèges conquis par le capital et les hauts revenus, cette dette n'est pas celle des 99 %. Le prix exigé pour la payer n'est pas acceptable : l'honorer implique de renoncer aux droits sociaux, d'écraser les revenus et, in fine, de lacérer ce qui reste de dépenses collectives permettant de faire société. Surtout, ce serait abdiquer sa dignité que d'accepter de se soumettre plus avant au pouvoir du capital centralisé dans la finance. Il n'y a là aucune fatalité. Les diktats de la finance peuvent être refusés. Cela signifie interrompre les remboursements de la dette – un moratoire – et établir clairement qui sont les créanciers – l'audit – afin de définir la part de la dette qui peut être remboursée et celle qui doit être annulée. Sans doute les banques et le système financier tels qu'ils fonctionnent n'y résisteraient pas : mais quels regrets pourrions-nous avoir ? Il existe une alternative, nationaliser les établissements financiers puis mettre en place, comme le propose Frédéric Lordon, un système socialisé du crédit.

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