Gauche alternative en Corse
La grève vient d’être reconduite. On ne peut pas parler des difficultés actuelles de la SNCM sans revenir à la désastreuse privatisation menée à la hussarde en 2005 sous le haut patronage de Dominique de VILLEPIN. Un gigantesque gâchis aujourd’hui et à l’origine un scandale d’Etat. L’offre de la COMEX, une entrée progressive au capital accompagnée d’un apport de 75 millions d’euros, a été écartée au profit de celle de M. Butler, cet énarque de la même promotion que l’ex-premier ministre de Chirac. Ce Franco-brésilien dirigeait un fonds de pensions qui apportait 40 millions de moins en exigeant 10 millions de plus de l’Etat. Il a fait faire à son fonds de placement une affaire rentable à court terme grâce à l’entrée de Veolia sous la houlette de son PDG de l’époque à qui on aurait forcé la main. Une responsabilité que l’Etat a du mal à assumer pendant que Dominique de Villepin joue maintenant l’avocat d’affaires avec, pour clients, des fonds de placement comme son ami Buttler. Il ne lui reste qu’à demander la nationalité brésilienne et apprendre à danser la bossa nova en se bouchant les portugaises pour ne plus rien entendre sur la SNCM.
Et la compagnie Corsica ferries ? Il aura fallu du temps pour que notre ministre des transports s’aperçoive que les subventions ne sont pas clairement perçues chez les concurrents de la SNCM. L’Etat ne fait cependant rien. C’est la CGT qui a déposé plainte et la direction de la SNCM vient de le faire. Comment interpréter l’inaction de l’Etat et des ministres de l’économie est des finances successifs ? Quels lobbies sont derrière l'acharnement de la Commission européenne contre la SNCM et sa bienveillance pour la Corsica ferries ? On connaît l’ultralibéralisme de son président atlantiste.
Que veulent tous ceux qui œuvrent pour couler la SNCM ? Ils lui convoitent sa délégation de service qui lui assure près de 65% de son chiffre d’affaires pendant 10 ans ! Dans son rapport, la commission d’enquête parlementaire a identifié les charognards et leurs appuis politiques. Comment l’Etat peut-il abandonner une compagnie dont l’avenir est assuré à 65%, sans se rendre responsable d’un désastre social et économique ? Sera-t-il complice d’une machination financière ?
Pour tuer un chien, on l’accuse de la rage. C’est ce que d’aucuns font avec la CGT accusée d’abuser du droit de grève. Les salariés de la SNCM se voient donc (toujours par les mêmes) reprocher leurs grèves, mais c’est grâce à leurs actions et à leurs syndicats (en premier lieu la CGT) que la SNCM n’est pas encore liquidée. C’est aussi par leurs actions que seront évitées toutes les conséquences économiques et sociales d'un dépôt de bilan pour la Corse et Marseille. Les salariés ne font pas grève pour perdre leur travail mais pour conserver leur compagnie pendant que d’autres s’acharnent à la saborder. Comment ne pas comprendre le désastre financier, économique et humain qu’entraînerait une liquidation judiciaire de la SNCM livrée aux vautours ? L’Etat a plus à y perdre qu’à y gagner. Malheureusement, aucune solution pérenne n’a été apportée à ce jour en dehors d’un accord passé en octobre dernier et auquel la Commission européenne a répondu par un doublement des subventions à rembourser soit au total plus de 440 Millions d’euros, décision suivie d’une nouvelle plainte de la Corsica ferries. Pourquoi s’en priver puisque ça marche ! La ficelle est grosse qui veut pendre haut et court la SNCM, il faut maintenant qu’elle lui serve de cordage d’amarrage. Il est temps que les manigances se retournent contre leurs auteurs.
Pour cela la CGT et la direction de la SNCM réclament l’obligation du pavillon français premier registre pour tous les opérateurs établis en France, donc pour la Corsica ferries dont les navires battent pavillon panaméen et embarquent des équipages multinationaux non soumis aux règles sociales française. Cet état de fait entraîne une distorsion de concurrence. Le ministre des transports a promis un décret qui «permettra de rétablir la situation», en «obligeant les compagnies étrangères qui interviennent dans les eaux intérieures à s'aligner sur les règles sociales françaises». Aujourd’hui, les syndicats ne se contentent plus de promesses et de déclarations floutés. L’apport en trésorerie de 30 millions d’euros annoncés n’a fait qu’attiser les inquiétudes. La maladresse de l’annonce faite par le truchement de Patrick Menucci, candidat aux Municipales de Marseille a été très ma perçue.
Enfin, face au souhait de Veolia de se désengager de l'actionnariat de la SNCM, les syndicats réclament une table ronde pour plancher sur un «actionnariat public d'intérêt général» avec la Caisse des dépôts et consignations (CDC) et les collectivités, aux côtés de l'Etat (25%) et des salariés (9%). Sans réponse concrète pour l'instant. A Marseille, on évoque un repreneur qui ne s’est pas encore déclaré. Selon le JDD, l'ancien président du port autonome de Marseille, Christian Garin, serait intéressé pour reprendre la SNCM. A la mairie de la Cité phocéenne, on confirme qu'il est un candidat «crédible» même si rien n'est encore fait. Encore une information périmée: l'offre remonte à huit mois, n'a pas été retenue et a donc été abandonnée par le candidat.
Pour le moment, en Corse, la pénurie n’est pas à craindre même si tous les produits consommés viennent du continent. A l’export, la principal marchandise victime de ce blocage pourrait être la clémentine, dont la saison bat son plein. Des transporteurs refusent d’être tributaires de la Corsica ferries, malgré l'annonce par la compagnie privée de bateaux supplémentaires, "S'ils s'engagent à mettre des bateaux supplémentaires, il faut qu'ils s'en tiennent à l'engagement qu'ils ont pris", souligne-t-on du côté des transporteurs corses. "La décision de l'arrêt du fret pour tout le monde a donc été prise "pour mettre tout le monde sur un pied d'égalité", explique Jean-Marie Maurizi, le président du syndicat professionnel des transporteurs corses. Ce dernier envisageait un blocage des ports insulaires et a demandé à la Corsica ferries de ne pas transporter le fret. La direction de cette compagnie maritime se conformera à cette demande, faisait savoir un responsable. La presse titra rapidement le blocage de la Corse... et presque l’embargo. Les producteurs de clémentines ont fait les gros yeux et tout est rentré dans l’ordre: le fret ne sera pas bloqué et la Corsica ferries transportera les clémentines sur le Continent.
De son côté, le président de l'Office des Transports de la Corse (OTC) estime que c’est "la grève de trop" et aurait mis en demeure la SNCM et la CMN, d’assurer un "service social et solidaire", prévu par la Convention de délégation de service public maritime. Drôle d’appellation pour réclamer un « service minimum obligatoire », une vieille idée de la droite pour limiter le droit de grève qui est un dernier recours et l’unique action efficace des salariés pour se faire entendre. Ce service maritime minimum a été intégré à la dernière Convention de délégation de service public, afin d’assurer une continuité du service en cas de conflit. Ce dispositif est prévu pour s'appliquer dès le cinquième jour de grève. Il est accompagné de conditions restrictives mais reste une limitation de la grève, comme un coin enfoncé pour ouvrir la porte à d’autres atteintes à ce droit.
La grève a été reconduite pour 48 heures, Samedi dernier. Elle est à nouveau reconduite aujourd’hui. A la SNCM, de nouvelles assemblées générales étaient prévues en début de matinée pour décider des suites du mouvement. C’est fait. Nous espérions que l’Etat et la CTC favoriseraient des avancées au lieu de mettre de l’huile sur le feu, comme l’a fait le Président de l’Office corse des transports en déclarant aux journalistes : "Il faut que cette grève cesse rapidement sinon les choses peuvent dégénérer en Corse." Il ne faut pas écouter le chant des sirènes qui déclenchent des tempêtes dans des verres d’eau. Même si d’aucuns disent que la tension monte en Corse pour la faire monter, il n’y a pas de pénurie à craindre et la Corse n’est pas au bord de l’implosion à cause de la grève en cours à la SNCM, malgré le « pas de deux » médiatique dansé par le patron du syndicat professionnel des transports corses et la Corsica ferries, aux quels s’est joint le Président de l’Office corse des Transports.
Au lieu de danser avec les loups, nous aimerions voir la CTC et l’Etat plus combatifs face au lobbying de la concurrence et à la Commission européenne, au lieu de laisser les salariés de la SNCM et de la CNM dans la souffrance tout en condamnant leur grève.
Des journalistes indépendants suivent le dossier SNCM. Aujourd’hui, sur son site Bakchich, Enrico Porsia interroge sur la Compagnie low cost italo-suisse Corsica ferries« qui a pourtant perçu près de 180 Millions d'euros de subventions payées par nos impôts et de façon indue. Et toujours aucune réponse sur la demande d'ouverture d’une enquête fiscale auprès du Ministre des Finances. Pourquoi le gouvernement ne s’intéresse pas à la fraude sur la taxe des transports en Corse qui a fait pourtant l'objet d'une motion adoptée à l'unanimité par l'Assemblée de l’île ? Qu’attendent donc les services de M. Pierre Moscovici pour aller contrôler les comptes des sociétés du groupe Corsica ferries ? ». Alain Verdi a constitué un dossier complet sur l’affaire « SNCM » sur son site « Pericoloso sporgersi ». Ce chroniqueur revient sur la plainte déposée par la CGT qui s’appuie, notamment, sur le rapport public annuel 2009 de la Cour des Comptes (Page 561) dénonçant l’absence totale de contrôle pour l’attribution de l’aide sociale dont 85 % auraient bénéficié à la Corsica Ferries sur simple déclaration du nombre des passagers transportés.
Pour quelles raisons, les articles de ces deux journalistes et les communiqués des syndicats ne trouvent que peu d’échos auprès de la grande presse qui préfère commenter les tracas occasionnés par la grève plutôt que le fond de l’affaire et les causes du conflit ? On peut se poser la question et prendre le temps de s’intéresser davantage à la réalité d’un scandale politique et financier. Les responsabilités d’une grève ne sont pas à chercher chez les grévistes mais chez ceux qui ne leur laissent pas d’autre choix.
Matalone