Gauche alternative en Corse
Jean-François Kahn était l’invité de Laurent Ruquier dans l’emission « On n’est pas couché », à l’occasion de la sortie de son livre Marine Le Pen vous dit merci. Cela a été aussi l’occasion d’une prise de bec et de tête avec Aymeric Caron. L’un dénonce dans son livre un anti-lepénisme de posture qui aurait fait le jeu du Front national et l’autre l’a accusé de vouloir banaliser les idées du FN. Tous ces faux débats entre intellectuels médiatiques reposent sur leur façon de regarder les résultats du FN aux élections européennes par le petit bout de la lorgnette, en laissant croire que l’extrême-droite représente 25% du corps électoral, faisant abstraction des 60% d’abstentions, votes blancs et nuls. Aymeric Caron fidèle à lui-même est certes resté dans la posture de l’Anti-FN mais il refuse d’analyser les causes des votes FN, se contentant d’en grossir la réalité tout en refusant d’autres réalités en matière de sentiment d’insécurité et d’immigration. Il reste dans l’incantation et refuse d’analyser l’échec des politiques qui éloignent les électeurs des urnes sauf ceux du Front national. Il s’enferme dans sa vérité liée de façon épidermique au pouvoir socialiste. Il préfère asséner, avec arrogance, ses arguments au lieu d’essayer de chercher le «pourquoi?» social du vote FN.
Cela ne donne pas raison à Jean-François Kahn qui veut croire que Marine Le Pen a accepté le jeu démocratique mais il ne considère pas qu’elle soit moins dangereuse que le père. Toutefois il juge que la diabolisation du FN a été un échec et que l’utilisation du mot « populisme » est perçue dans le sens « populaire » sans nuire à Marine Le Pen. Et dire que le directeur de Marianne en a fait un livre « Marine Le Pen vous dit merci ». Nous ne l’avons pas lu mais son argumentation lors des présentations qu’il en fait ne nous a pas accrochés car elle critique la diabolisation mais ne met pas l’accent sur les effets de la dédiabolisation médiatique. Dans une interview donnée au Figaro, ce dernier pense qu’il faut d’admettre que Marine Le Pen s’est démarquée des propos de son père qu’il décrit comme « un monstre d’égoïsme, de narcissisme, d’égocentrisme ». Dans ses dires, la contradiction vient lorsqu’il explique que « Jean-Marie Le Pen était intégriste de posture, ouvertement réactionnaire sur le plan social et ultralibéral sur le plan économique. Le discours de Marine Le Pen, mélange d'extrême gauche et d'extrême droite, qui surfe sur le double rejet de l'idéologie post-soixante-huitarde et du néo-libéralisme économique, est très différent. Cela ne veut pas dire qu'elle est nécessairement moins dangereuse que son père ». Le sera-t-elle moins en la dédiabolisant ? Et puis que signifie « diaboliser » ? C’est désigner quelqu’un comme le diable. Une expression biblique et métaphorique qui n’est pas exagérée avec le fascisme dont on connaît l’œuvre. Et, dédiaboliser ? Serait-ce exorciser ou faire passer le diable pour le Bon Dieu ? Finalement, la crise ne fait-elle pas tirer le diable par la queue? N'est-ce pas faire tirer aux gens le diable par la queue qui fait surgir la bête immonde?
L’autre soir, chez Ruquier, on pouvait assister à un débat médiocre sur un sujet qui demande bien plus que des banalités et des contradictions. C’est peut-être aussi le concept de l’émission, entre l’humour et politique, qui veut cela. On finit par assister à des joutes sans humour dans lesquelles la politique n’est qu’un spectacle donné par de mauvais acteurs.
L’actualité nous montre que Jean-Marie Le Pen n’a rien perdu de son idéologie fascisante, xénophobe, raciste et antisémite. Accusé par sa fille de « faute politique » pour avoir fait un nouveau trait d’esprit sur la Shoah, il a remis cette dernière en place en lui rappelant d’où vient le Front National. Quant à Maître Gilbert Collard qui lui a conseillé de prendre sa retraite, le patriarche a répondu vertement, le qualifiant de "pièce rapportée…même pas membre du Front national". Il a ajouté : "Je lui réponds qu'il devrait changer les consonnes de son nom". Et oui, toujours prompt à l’invective, pour lui Collard rime avec connard. On a pu relever que Marine Le Pen n’a pas condamné les propos antisémites de son père mais la « faute politique » car il devait avoir conscience de « l’interprétation malveillante » prévisible. Tout le monde sait bien que la stratégie du Rassemblement bleu Marine n’est pas de changer le FN, mais de faire croire qu’il le change, ce qui ne satisfait pas son fondateur fier de son œuvre. Celui-ci, sur RMC, a qualifié ce rassemblement de «formation bizarre, sans consistance», avant d'ajouter: «Ce qui est important, c'est le Front national.»
La presse tente de faire croire que la fille va tuer le père. Ce ne sont que billevesées dans le droit fil de la mascarade qu’est la dédiabolisation. Rappelons que Jean-Marie Le Pen est Président d’honneur à vie du Front national et n’a pas l’intention de se laisser exorciser. Il s’est fait réélire à 85 ans au parlement européen. Une grande partie des militants du Front National et de ses satellites d’extrême-droite partage son idéologie fascisante et raciste. C’est la base militante de l’extrême-droite sans laquelle le Front national n’aurait plus d’existence. Marine fait partie de cette famille politique et Jean-Marie Le Pen est deux fois son père. Nous n’assisterons pas à une tragédie œdipienne dans ce qui n’est qu’un jeu théâtral entre le père capricieux et la fille ambitieuse.
Jean-François Kahn pense qu'on n'a pas su répondre aux angoisses identitaires et sécuritaires de certains électeurs. En 2010, 8,6% d'immigrés en France. Avant la guerre en 1931, il y en avait un peu moins: 6,6% d'immigrés. C’est sur le thème de l’immigration que les deux débatteurs se sont affrontés. Caron s’étonna que deux points d'immigration supplémentaires puissent générer les angoisses alors que Kahn jugeait que cette comparaison avancée par Caron est "la bêtise", qui a remis en cause le droit du sol en disant: « Mais attendez ! Il se trouve qu'en France, quand un fils d'immigré naît sur le territoire français, il devient automatiquement français. Donc, génération après génération, ce ne sont plus des étrangers. Donc après vous pouvez jouer sur les chiffres et dire qu'il n'y a pas plus d'immigrés qu'avant guerre. » Qu’a voulu dire JFK ? Un petit-fils d’immigré reste un immigré. C’est exactement ce que pense celui qui voit un Français d’origine maghrébine toujours comme un Arabe. Cela conforte une vision raciste de la société française qui aurait trop d’immigrés, y compris ceux naturalisés. Voilà où mène l’attention toute particulière portée aux angoisses de l’électeur du FN.
Jean-François Kahn, dans ses explications du vote FN, est allé loin même si nous pouvons penser qu’il n’a pas mesuré la portée de ses dires que nous vous proposons d’écouter :
ONPC 07/06 - Jean-François Kahn face au duo... par JLMARSEILLE
L'analyse de Jean-François Kahn est bancale et ne tient pas compte que, aussi bien du côté des politiques que de celui des médias, les angoisses sécuritaires et identitaires ont été entendues si on relève quelques « perles nauséabondes » :
Sur l'immigration, "le bruit et l'odeur" (Jacques Chirac, 1991) ; S'agissant des mineurs multirécidivistes : "Des sauvageons" (Jean-Pierre Chevènement, 1999) ; Toujours sur l'insécurité, on se souvient du nettoyage au Karcher promis par Nicolas Sarkozy :"Vous en avez assez de cette bande de racailles ?" (Nicolas Sarkozy, 2005) ; Sur l'immigration "Nous on peut pas accueillir tout le monde dans des squats" (Nadine Morano, 2008) ; Dans un mélange des deux (immigration et insécurité) : Jean François Copé et son pain au chocolat (2012)… Arrêtons nous là !
On ne peut pas dire que ces récupérations électorales, sans revenir sur d’autres propos car la liste est trop longue, soient de nature à combattre le Front national car elles ont eu pour effet de banaliser la xénophobie et d'alimenter le sentiment d’insécurité.
Entre l’arrogance d’un Aymeric Caron médiocre et l’analyse oiseuse de Jean-François Kahn, il valait mieux aller se coucher.
Battone