• Un traité au service exclusif des multinationales

    Contre les peuples et la démocratie

    Le projet traité portant sur la création d'un grand marché transatlantique pour le commerce et l'investissement se négocie actuellement dans l’opacité et la discrétion la plus totale, entre les Usa et l'Europe. Notre président François Hollande y apporte allègrement son appui sans en dévoiler, ne serait-ce que les grandes lignes et sans demander l’avis des partis politiques, des syndicats, des institutions démocratiquement élues de notre pays. Pourtant ce projet de traité risque de bouleverser les rapports sociaux, politiques et économiques  de ce bas monde. Selon quelques indiscrétions qui sont parvenues à filtrer, le projet de traité présente beaucoup de dangers pour notre souveraineté. Appliqué, il va contribuer à accélérer et à aggraver les politiques d’austérité et de régression sociale menées sur notre continent. Il consacrera la primauté des multinationales, surtout nord-américaines, sur le droit national. Demain, par exemple, ces mêmes multinationales pourront traîner devant un tribunal international privé un Etat, des entreprises nationales ou encore des collectivités territoriales. Ou encore s’emparer des secteurs publics au nom de la libre concurrence, casser ce qui reste du principe de solidarité et de protection sociale. Il y a danger dans la demeure. Le mot n’est pas fort.

    Pour en savoir plus sur ce fameux traité, nous présentons un argumentaire élaboré par un membre du Front de gauche, Bernard Calabuig. Edifiant.

     

    Note rédigée à partir des matériaux suivant : articles du Monde diplomatique novembre 2013 et février 2014, notes de la fondation Copernic et d’ATTAC, livre de Patrick Le Hyaric député européen et directeur du journal l’Humanité Dracula contre les peuples, dossier de Cerises décembre 2013, documents du collectif citoyen Stop TAFTA.

    De quoi s’agit-il ?

    Il s’agit d’un processus engagé depuis des décennies, visant à construire un nouvel empire euro-américain, sous domination des États-Unis, Madame Clinton qualifie ce projet « d'un OTAN économique ». Le traité élaboré dans l’opacité la plus totale, vise à constituer d’ici à 2015 un grand espace de libre échange représentant la moitié du PIB mondial et le tiers des échanges commerciaux. Le droit des investisseurs prendrait le pas sur celui des gouvernements. Pour ce faire, une part importante du droit international serait privatisée par un mécanisme dit de « règlement des différends entre investisseurs privés et États », ceux-ci seront réglés par des tribunaux arbitraux privés. Tribunaux spécialement créés pour arbitrer les litiges entre investisseurs et États, et doter du pouvoir de prononcer des sanctions commerciales contre ces derniers.

    Un tournant géopolitique

    Sous couvert de libre échange c’est le dumping social, monétaire et environnemental généralisé qui organisera une loi de la jungle avec la mise en concurrence des salariés, des paysans, des assurés sociaux, des retraités, des petites et moyennes entreprises, des consommateurs, des deux côtés de l’atlantique. Ce projet est combiné à un autre traité de « Partenariat transpacifique que les États-Unis négocie en parallèle, en Asie. L’ensemble constitue un tournant géopolitique, arrimant définitivement l’Union européenne aux politiques Étasuniennes contre les pays émergents et en particulier la Chine. Le but est de renforcer les capacités exportatrices de l’Europe et des USA, au détriment des pays émergents. Pour leurs multinationales, les dirigeants étasuniens et européens cherchent avec ce projet une réponse à la crise débouchés qu’ils ont eux-mêmes créée avec les politiques d’austérités. Le monde occidental cherche à juguler sa perte d’hégémonie dans un mode en plein bouleversement, avec la montée de pays en développement :Inde, Chine, Brésil et aussi Nigeria, Colombie.

    Un processus qui vient de loin

    Les discussions entre dirigeants nord-américains et européens sur le projet transatlantique datent de très longtemps. Elles ont été chaque fois ajournées, tant les oppositions populaires étaient importantes. Au point qu’entre 1995 et 1997, un autre projet a été discuté dans l’ombre des cabinets gouvernementaux, prévoyant de nouveaux droits pour les sociétés multinationales au détriment des États. Il était baptisé « Accord Multilatéral pour l’Investissement » (AMI). Chacun se souvient qu’il a été mis en échec sous la pression populaire après que le Monde diplomatique en eût révélé le contenu.

    Guerre des idées et opacité

    Aujourd’hui un groupe de travail appelé : « dialogue transatlantique du mondes des affaires » regroupant 60 représentants des multinationales, se conduit comme un bureau politique de l’internationale du capital, ces gens se concertent, donnent leurs avis aux membres des gouvernements. Toutes les dispositions contenues dans ce traité ne pourront être amendées qu’avec le consentement unanime des pays signataires. De fait imperméable aux alternances politiques et aux mobilisations populaires, le traité s’appliquerait de gré ou de force.

    Tout cela se déroule sur un fond de guerre des idées. La propagande ultra libérale développée depuis le milieu des années 1980, vise à faire accepter le concept de « libre-échange » dans son sens capitaliste comme facteur de progrès et de prospérité. Car les mots de libre échange ne portent pas d’emblée, la mise en concurrence et la guerre économique. Il y a de grandes chances, que comme d’habitude les experts qui savent tout, traiteront les opposants à ce projet « d’antiaméricain », « d’euro sceptiques », « de protectionnistes… » Tout cela se fait aussi dans l’opacité, rien ne doit filtrer. Instruction a été donné de laisser journalistes et citoyens à l’écart des discussions. Un article du Monde Diplomatique du début de l’année indique que l’ancien ministre du commerce américain Ronald Kirk a fait valoir, l’intérêt « pratique » de préserver un certain « degré de discrétion et de confidentialité ». Patrick Le Hyaric, parlementaire européen s’est procuré le document en

    discussion intitulé « Mandat de discussion entre les États-Unis et l’union européenne », traduit seulement en anglais il est classé « diffusion restreinte » il a été publié intégralement dans un ouvrage intitulé : Dracula contre les peuples (Édition l’Humanité). La fondation Copernic, ATTAC, le collectif Stop TAFTA, regroupant des dizaines d’organisations dénoncent ce projet. Il est un des enjeux de l’élection européenne du mois de mai.

    Encore plus de libéralisme

    Je ne serai pas exhaustif, je pointerai seulement des articles qui me semblent les plus marquants, les articles 2 et 3 inscrivent l’accord dans le cadre de la libéralisation des échanges prévue par l’organisation Mondiale du Commerce (OMC). A noter que dans son examen de la politique commerciale de l’UE, publié le 16 juillet 2013, l’OMC s’inquiète de la hausse du nombre d’entreprises détenus par les État depuis la crise. Avec le traité, les investisseurs pourraient contourner les lois et les décisions qui les gêneraient, permettant par exemple aux pétroliers d’imposer en France l’exploitation du gaz de schistes et autres hydrocarbures dits non conventionnel. La suppression de ce qui reste des droits de douanes renforcerait la concurrence de tous contre tous. Tout ce qui protège la santé, l’alimentation, les droits sociaux, l’environnement, l’éducation et la culture, les services publics est susceptible d’exploser avec l’application de ce traité.

    L’article 4 du document concerne les collectivités territoriales.

    Il est précisé que le traité s’applique à « tous les niveaux de gouvernement ». Si l’Union européenne est signataire de cet accord avec les États-Unis, elle engage les autres niveaux de décisions que sont les collectivités territoriales. L’accord a pour but d’ouvrir à la concurrence des secteurs qui sont de la responsabilité des politiques publiques locales : la santé, l’eau, les transports…Les multinationales veulent avoir la main mise sur tout ce que nous avons préservé du marché. De façon plus explicite encore dans le chapitre « protection des investissements » article, 21, 22, 23, 24 : « Toutes les autorités infranationales et entités (comme les États et Municipalités) devront se conformer aux dispositions du présent accord de protection des investissements ».

    Le tribunal privé

    Les articles 21, 22 et 23 dans le chapitre Protection des investissements traitent de ce tribunal arbitraire. L’article 45 lui est entièrement consacré. Toute société multinationale pourrait faire appel à un tribunal privé pour poursuivre un État dès lors qu’elle contesterait certaines politiques nationales, que ce soit en matière de droit social, ou environnemental, ou encore de politique de la santé. Au bout du compte la loi ne serait plus décidée par les élus nationaux et européens, mais par les jurisprudences édictées par les tribunaux arbitraux privés. Cette procédure existe déjà dans certains accords bilatéraux. Ainsi on a pu voir récemment des sociétés européennes engager des poursuites contre l’augmentation du salaire minimum en Égypte ou contre la limitation des émissions toxiques au Pérou. Les juges qui plaident la cause de leurs puissants clients représentent un tout petit monde : 15 juristes de l’investissement international se partagent 55% des affaires traitées à ce jour. (Source Monde diplomatique).

    Les marchés contre la souveraineté

    Les multinationales ont besoins d’un marché grand ouvert, stable et sécurisé. C’est la raison pour laquelle elles agissent pour des législations mondiales qui soient favorables au marché capitaliste libre. Elles ont aussi besoin de partis politiques à leur service, d’institutions stables, sans risque de développement de mouvements de contestation syndicaux, sociaux, écologiques ou politiques Cela les conduits à réclamer l’unification du travail des polices, des douanes, de l’armée, des tribunaux à une échelle transnationale. Notons aussi dans l’article 23 la formule : « La protection contre l’expropriation directe et indirecte », ce qui revient à limiter, voire interdire les nationalisations.

    Il est possible d’agir !

    La date de 2015 est fixée pour conclure ce traité. Mais tout dépendra de l’ampleur des réactions populaires. Chaque État membre aura le droit d’utiliser son droit de veto, synonyme de fin du processus de discussion et de rejet du projet. Le parlement européen pourra le faire aussi. Ce sont les députés européens, issus du scrutin de mai 2014 qui auront à se prononcer. Le rapport de force politique au sein de ce parlement sera donc important pour la suite. Des collectivités territoriales de gauche ce sont prononcées dans des motions contre ce projet. Récemment, dans une réunion publique à Tournus, Arnaud Montebourg a dit que « ce traité ne verrait pas le jour ». Peu importe le degré de sincérité de ces

    déclarations, elles montrent que lorsque le débat est public, il devient difficile de défendre l'indéfendable. L’échec des négociations préparatoire au traité serait une victoire pour les peuples, il suppose un grand rassemblement populaire.

    Perspectives

    A la fin de son livre Patrick Le Hyaric résume fort bien les enjeux et les nouveaux contours de la lutte des classes à l’échelle internationale. Ci-dessous en quelques extraits :

    « La part des pays occidentaux dans l’économie mondiale va passer de 56% à 25% d’ici à 2030, selon un rapport de la CIA intitulé « Le monde en 2030 vu par la CIA ». La crise de l’hégémonie des États-Unis ouvre la voie à la fin de cinq siècles de domination occidentale. Ce rapport reconnaît que le modèle capitaliste occidental est terrassé par la crise et « non par les terroristes ». « La menace vient de l’intérieur même du système ». Voilà qui donne une idée des puissantes contradictions qui provoquent le craquèlement du système. On peut même penser que les peuples refuseront toute hégémonie nouvelle… »

    « Mais dans les vingt prochaines années, la planète comptera 8, 5 milliards d’habitants, qui grâce aux réseaux sociaux disposeront de plus d’informations, plus éduqués, plus cultivés. Gageons qu’ils aspireront à maîtriser leur destin. Mais dans les vingt prochaines années la demande croissante de ressource en eau de 40%, en nourriture 35% en énergie 50%, pourrait conduire à des pénuries, à des tensions, voire à des guerres ».

    Tels sont les enjeux à venir : guerre économique ou coopération.

    Bernard Calabuig

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